CÉRÉMONIE DE MARIAGE CHEZ LES BAMILEKE

   

  A-LES FONDEMENTS DU MARIAGE


Le mariage chez le Bamiléké n’est pas un contrat entre deux personnes, mais entre deux familles, deux sociétés, deux peuples, avec pour exécutants un homme et une femme qui ne sont pas consultés. Donc une femme épouse une famille et non un homme, mais elle vivra maritalement avec un seul membre de cette famille. Un homme épouse la famille qui lui a donné la femme, mais ne vivra maritalement qu’avec sa femme.
La famille se comprend ici au sens de la large famille africaine contrairement à l’assertion biblique «.L’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme» (Genèse 3, verset 24), c’est la femme qui quitte ses parents pour rejoindre la famille de son époux. Mais c’est cette dernière qui ira demander la main de la femme à sa famille, et pas le contraire. Les futurs époux n’ont pas besoin de se connaître avant. Ils apprendront à le faire pratiquement. Par contre, la fille peut connaître et apprécier certains membres de sa future  belle-famille par leur présence fréquente dans la concession et leur gentillesse, mais sans soupçonner les causes profondes de tant de générosité, d’autant plus qu’elle a parfois plusieurs sœurs et demi-sœurs. Ce sont les familles qui garantissent les liens de mariage.
Le but du mariage est aussi d’avoir[12] un compagnon attentionné et agréable à vivre, une femme docile et généreuse, un mari fort et respecté. Fécondité et caractère sont les deux principaux critères de fiancés. La base de l’information est la mère de la fille et sa famille. Si elle a fait beaucoup d’enfants, sa fille fera autant. Si elle a un bon caractère, si elle est travailleuse, on choisit ses filles les yeux fermés, parce que quelqu’un la connaît bien, espérant qu’elles ressembleront à leur mère. C’est pourquoi, il est difficile d’accepter une fille dont on ne connaît pas les parents. Le physique n’est pas un critère de choix.

1.      LA PREPARATION AU MARIAGE


La préparation au mariage diffère selon qu’on est garçon ou fille.

a.      LA PREPARATION DU MARIAGE CHEZ LE GARÇON


Le garçon dort dans la case de sa mère, mais se forme à l’école de la vie auprès de son père qu’il accompagne dans ses tâches quotidiennes. Il apprend en observant, en aidant à faire et en faisant. Il subit des tests d’intelligence. Par exemple, quand on est entrain d’attacher quelque chose (clôture, case, bois) et qu’une liane se coupe, on l’envoie chez un parent prendre le sac où on met les bouts de lianes coupées ou encore on peut l’envoyer prendre la poire à chien. Ce dernier peut l’envoyer chez un autre, ainsi de suite jusqu’à ce qu’il comprenne ou que quelqu’un lui dise que ces choses n’existent pas. Il devient un homme dès qu’il peut faire ce que le père fait. Mais le premier acte de préparation du garçon au mariage est la circoncision.
On ne lui parle pas des relations sexuelles. Dès qu’il en prend conscience, il ne doit plus dormir chez sa mère. Il fait une extension de la case maternelle pour en faire son habitation. C’est la deuxième étape car c’est une malédiction qu’avoir une relation sexuelle dans la maison parentale. Cette étape est fonction de la taille de l’enfant et de son degré d’intelligence et non de son âge. Une fois qu’il a intégré sa case à côté de celle de sa mère, son père lui délimite une portion de terrain qui sera sa concession, ou l’envoie en demander au chef de quartier. L’enfant commence par y faire une clôture et le faire cultiver. Le père le presse d’y construire une case. Une fois la case terminée, on peut lui trouver une femme.

b.      LA PREPARATION DU MARIAGE CHEZ LA FILLE


La fille se forme en compagnie de sa mère qui devient son professeur, sa conseillère et sa confidente. Elle apprend tout ce qu’une femme doit savoir et faire, particulièrement à s’occuper de l’enfant et de la maison. Dès qu’elle peut préparer toute seule des mets comme le « nkwi » et le taro, elle est prête pour le mariage. La préparation de ces mets nécessite l’identification et le dosage de douze condiments dans la calebasse de conservation. Alors elle pourra se marier dès qu’elle aura ses premières menstruations[13].
Une fille commence à devenir femme quand ses seins commencent à prendre forme. S’ils poussent trop vite alors qu’elle est toute petite de taille, on les masse pour freiner la croissance et lui laisser le temps de grandir un peu. Si elle n’a pas vite grandi en corpulence, on la met dans le « ndjak », sorte de quarantaine pendant laquelle elle ne sort que pour les besoins naturels essentiels. Elle se nourrit et se repose. Pendant cette période, on l’enduit d’une pâte végétale rouge appelée « ppe » qui nourrit les cellules et accélère la croissance. Cette pâte serait plus efficace que les masques d’argile utilisés par les femmes aujourd’hui pour les visages. Le « ndjak » transforme une fille maigrichonne en une fille potelée et charmante. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’une même fille subit deux cures de « ndjak ». Après cette étape, les demandes en mariage commencent à affluer.

2.      LE MARIAGE : DES FIANÇAILLES A LA VENUE DU BEBE


a.      LES FIANÇAILLES

Afin de choisir la meilleure femme pour son enfant, c’est la famille du garçon qui va vers celle de la fille. Mais il y a aussi d’autres moyens de trouver une promise :
Ø  Entre amis, une famille peut «se réserver» une fille sans avoir choisi lequel de ses fils l’épousera.
Ø  Si la femme d’un ami est enceinte, il est possible de lui demander la main de son enfant avant qu’il naisse.
Ø  Lorsqu’une fille naît en présence d’un visiteur, c’est un présage. Ce visiteur doit alors saisir sa chance et considérer l’enfant comme sa fiancée. Il lui rendra régulièrement visite et la couvrira de cadeaux pour entretenir une relation continue avant de décider s’il y aura une union.
Ø  Si la femme accouche alors qu’elle est dans un magasin, c’est pareil. Le patron peut se réserver le droit de demander l’enfant en mariage.
Ø  Si deux pères sont amis, ils peuvent décider d’unir leurs enfants.
Quelle que soit la méthode de choix, une fois l’accord conclu entre les deux familles, les fiancés se rencontrent enfin le fiancé se rend chez sa promise et il lui est présenté par le père de celle-ci. C’est à ce moment que l’on va discuter de la dot et indiquer au futur marié quels membres de la famille il doit officiellement rencontrer. C’est le rite des passages obligés. Cette action consiste à se rendre chez les membres influents et à leur offrir des cadeaux précis en fonction de leur place.
Ø  le père de la fiancée : une grande calebasse d’huile, une petite calebasse d’huile, deux fagots de  bois, un sac d’ébène, un sac d’arachides décortiquées, et de l’argent[14].
Ø  la grand-mère maternelle de la fiancée : une houe, un paquet de plantain préparé avec de la viande tournée à l’huile rouge, une calebasse d’huile et de l’argent pour ouvrir ‘’ le paquet de plantain’’. L’huile offerte est partagée par les coépouses de la grand-mère.
Ø  la grand-mère paternelle de la fiancée : une houe, un paquet de plantain préparé avec de la viande tournée à l’huile rouge, une calebasse d’huile et de l’argent pour ouvrir ‘’ le paquet de plantain’’. L’huile offerte est alors partagée par les coépouses de la grand-mère. Si la promise vit chez des oncles et/ou des tantes, le marié se doit de leur rendre visite[15].
Entre ces visites, le fiancé a eu le temps de faire connaissance avec sa belle-famille et se doit donc de l’entretenir  (Tabac pour le beau-père, bois pour la belle-mère, et participation physique à la réparation saisonnière ou annuelle de l’habitation, ainsi qu’aux récoltes.)
Ø  La concrétisation des fiançailles
Lorsque la famille du fiancé décide qu’il est temps de procéder à l’union, celle-ci se rend chez le père de la promise. Elle lui offre alors deux calebasses d’huile. La première pour la consommation du père, la seconde pour bénir la jeune fille. Le mariage sera alors bientôt célébré.


Ø  La cérémonie de marriage

·         Chez les Bamilékés, la jeune fille se marie selon la même procédure que sa mère. Le style de cérémonie se transmet donc de génération en génération. Il existe par conséquence différents types de cérémonie selon les familles                
·         La fuite : La jeune fille s’enfuit pour rejoindre sa belle-famille. La fuite est plus ou moins organisée car on lui demande de transmettre un message ou d’apporter de la nourriture. C’est la cérémonie qui coûte le moins cher.
·         Le piège : Il consiste à attraper la jeune fille. Après les fiançailles, la famille du fiancé débarque «à l’improviste» chez la jeune fille et fait semblant de l’enlever. En réalité, les deux familles ont convenu d’un jour, seule la jeune fille n’est pas au courant. 
·         la méthode classique : C’est la méthode la plus calme et la moins théâtrale et la plus utilisée chez les bamilékés. La fiancée est conduite par sa famille chez son promis, et une cérémonie est organisée pour voir si le garçon reconnait sa future femme au milieu de plusieurs femmes qui lui sont présentées tour à tour  Cette procédure est la plus chère car la famille du fiancé doit accueillir celle de la jeune fille.
Quelle que soit la cérémonie, elle sera suivie par une fête entre les deux familles. Au programme, repas, chants et danses. La dot chez les Bamilékés est l’ensemble des cadeaux que le futur marié offre à la famille de sa femme. Pendant la cérémonie, il est toujours précisé que la dot ne représente pas un achat de la femme. Il s’agit simplement de cadeaux apportés à la famille de la femme pour la remercier d’avoir dignement élevée la future épouse et de sceller l’alliance entre deux familles. C’est aussi la preuve que le jeune homme est capable de subvenir aux besoins de sa famille. Les cadeaux sont généralement des tissus traditionnels, les aliments (huile, sel, viandes de brousse, vins et alcools traditionnels…).

b.      LA CONCEPTION DE L’ENFANT CHEZ LES BAMILEKES


Chez les Bamilékés, la naissance est vue comme étant une bénédiction. En effet, la venue d’une nouvelle vie est considérée comme étant la réincarnation de la vie d’un de ses grands-parents qui, si l’opportunité se trouve, aura l’occasion et l’honneur d’enseigner et de voir face à face l’être humain qui deviendra sa continuation dans le Monde Céleste. De ce fait et pour cela, les Bamilékés donnent à leurs enfants à leurs enfants les noms de leurs parents sachant qu’un jour, un d’entre eux succèdera à leur défunt parent après qu’ils en aient eu la succession si c’est la volonté de Si, l’Être Suprême chez les Bamilékés. Lors de la naissance, le cordon ombilical de l’enfant qui le lie à sa mère est coupé et est enterré dans la concession de sa mère dans un lieu gardé secret afin que s’il arrive du mal à l’enfant, des rites soient faits en ce lieu pour la protection la protection de l’enfant, pour « Kuit’sa », comme on le dit en Pays Bamiléké dans la région linguistique « Ghomala » qui comprend les Royaumes Traditionnels de Baham et de Bandjoun. 
Ensuite, afin de couronner la naissance, les membres de la famille sont invités et on mange du « Nkui », du « Tchouk », du « Fufu », du Taro et du Koki et on boit du Vin de Palme, les 5 mets principaux Bamilékés et la boisson traditionnelle principale du Pays Bamiléké. Si l’opportunité se trouve et surtout si la naissance est célébrée en Pays Bamiléké, un « Kamsi » est appelé pour verser de l’huile rouge et du sel de mer en prononçant les prières en langue Bamiléké. S’il s’agit du fils d’un notable ou d’une notable ou de deux notables, le ou les notables en question doivent accomplir des rites : le père doit donner une chèvre en sacrifice après avoir prié sur l’animal pour se pardonner de la vie qu’il donnera en sacrifice et en priant Si durant le sacrifice et pendant la préparation de cette viande, qui s’appelle « Bap » dans le Royaume Baham. Cette vie symbolise celle de l’enfant qui, si le sacrifice n’aurait pas été fait, aurait été tué mystiquement par les pratiquants du « Famla », ou sorciers de Baham. Cette offrande animale est aussi une demande du Père de s’occuper de l’enfant avec le respect envers la tradition des Ancêtres. Après ce rite, la femme doit préparer des mets pour sa famille maternelle afin de la remercier pour l’éducation et la santé qu’elle a reçue et qui lui ont permis de mettre au Monde une nouvelle vie. Si l’enfant est un fils de Nobles, il est présenté au Roi aux alentours de l’âge de 7 ans pour recevoir la bénédiction des Ancêtres. Une cérémonie particulière est aussi prévue pour les enfants de Nwala, lesquels sont les Serviteurs du Roi. Ils sont le plus souvent initiés aux rites de la Cour afin de pouvoir, eux aussi, servie le Roi aussi bien que leurs parents. En ce qui concerne les enfants de « Kamsi », lesquels sont les Notables de Dieu, ils sont présentés aux Lieux Saints pour devenir, comme leurs parents, des guérisseurs, des voyants et des gardiens de la tradition communément  appelés Chamanes dans la littérature contemporaine. Ensuite vient le rite de la circoncision, qui sont le plus souvent pratiqués dans l’enfance mais peuvent l’être dans l’adolescence. Il est souvent pensé qu’un enfant Bamiléké non circoncis ne peut pas faire l’amour. Les Bamilékés ne pratiquent pas l’excision et ces rites mentionnés ici peuvent varier d’un Royaume à l’autre mais, d’une manière générale, ils sont communs dans les plus de 100 Royaumes Bamilékés qui se trouvent dans le Tiers-Monde.
Il est essentiel pour un Bamiléké d’accroître la population de son village, c’est-à-dire d’engendrer de nombreux enfants et de former un lignage qui se perpétuera de génération en génération. La fécondité est ainsi l’un des signes marquant la réussite personnelle, car pour entrer et progresser dans les sociétés traditionnelles, “il faut avoir beaucoup de femmes, beaucoup d’enfants, beaucoup de biens”[16]De plus, puisqu’il est important de faire durer le plus possible le lignage crée, tout adulte fondateur de lignage aura intérêt à avoir de nombreux enfants males, afin d’augmenter la probabilité d’en avoir un qui ait suffisamment de qualités pour lui succéder valablement à sa mort. Pour l’homme bamiléké, la fécondité apparait donc comme un moyen d’affirmation de soi au sein de la société et une voie d’entrée dans la cosmogonie puisqu’il est important pour lui d’avoir des descendants qui lui feront des sacrifices après sa mort. Seulement, une descendance nombreuse ne représente pas un objectif absolu, mais plutôt un moyen d’accroître la probabilité d’avoir un héritier valable de sexe masculin. Il ne faut cependant pas oublier l’importance économique d’une famille nombreuse. La relation entre fécondité et statut de la femme en pays Bamiléké est essentiellement liée au culte des ancêtres et à l’héritage. Ainsi, en cas de  stérilité définitive, la femme n’aura pas droit au sacrifice après sa mort ; son crâne ne sera pas recueilli, parce qu’on considère qu’elle aura vécu pour rien. Dans une famille polygamique, la femme est d’autant plus valorisée aux yeux de son mari qu’elle est féconde, puisque les enfants sont indispensables à la visibilité, au prestige social du mari. Ce sont donc les femmes qui sont responsables de la qualité de la succession de leur mari. La femme dont le fils est désigné comme successeur du mari acquiert ainsi une position supérieure par rapport aux autres, puisqu’elle aura donné naissance au “meilleur’’ d’entre les enfants du chef de famille. Ce statut particulier des mères de successeurs est illustré par la position des mères de chef (“mafo”), qui reçoivent du chef une portion de terre, un champ de bambous et quelques filles de serviteurs à marier sous le régime “ta nkap”, et président dans leurs quartiers les sociétés de femmes[17]
En l’absence d’un système patronymique, le papa possède en principe le droit de donner à son enfant le nom de son choix. Cette liberté est cependant tempérée par plusieurs exceptions liées aux statuts des enfants, au jour de leur accouchement et aux évènements survenus avant ou pendant leur naissance. Les exemples choisis chez les Bandjoun pour l’illustrer ne sont pas généralisables à l’identiques chez toutes les tribus bamiléké mais ils permettront de mieux éclairer le principe de base unanimement admis chez les Grassfields. 
 Les noms dictés par les conditions particulières de naissance :
Nous rangeons dans cette catégorie les jumeaux, les enfants qui les suivent immédiatement dans la lignée maternelle et les enfants arrivés en position de siège  au moment de leur venue au monde
Dans le cas des jumeaux, le premier dans l’ordre d’arrivée reçoit un nom royal commençant par « Fo » (roi) tel que Fokam, Foba, Fotso, Fotué ou tout autre nom ayant appartenu à un roi de la dynastie régnante ;
Le second dans l’ordre d’arrivée portera un nom prélevé dans un répertoire de noms se terminant par « gne » qui signifie jumeaux.
Ce principe connaît cependant une dérogation quand les deux nouveau-nés sont de sexe différent, la primauté du rang et donc du nom revient toujours au bébé garçon même s’il a été accouché en deuxième position.
Dans la communauté Bandjoun, les noms les plus couramment affectés aux deuxièmes bébés jumeaux sont Tuemgne, Nemgne pour les garçons et Gueamgne, Nghomgne pour les filles.
Tous les enfants qui naissent dans la lignée maternelle immédiatement après les jumeaux sont supposés avoir une puissance comparable à celle de leurs aînés, afin qu’on puisse les identifier très rapidement et leur accorder le respect dû à leur statut, on les désigne également par des noms particuliers qui signifient : celui qui talonnent et couvre les jumeaux. Appartiennent à cette catégorie les noms comme Kengne, Talla, Mela, Kuaté, Bakam. Ce n’est qu’au moment où la maman des jumeaux donne naissance elle-même à un ou une « Kegne » que la cascade des pseudos jumeaux est suspendue en attendant que de nouveaux bébés jumeaux viennent la relancer.
Parmi les enfants dotés de pouvoir surnaturels, les bamiléké rangent aussi tous les enfants arrivés au moment de l’accouchement par le siège, s’il s’agit d’une fille, on l’appellera « Metchum » (celle qui atterrit par les pieds), dans le cas contraire, il se nommera « Tachum » ou « Tchumtchoua » (celui qui atterrit par les pieds).
Le premier enfant du roi né après les neuf mois d’initiation dans le La’akam porte automatiquement soit le nom de « Tou’kam » (trophée de La’akam) ou celui de « Pouo’kam » (trésor du La’akam).
 Les noms dictés par le hasard du calendrier ou les évènements particuliers :
Un enfant de sexe féminin né le « dzedze », jour de la semaine réservé à la réunion hebdomadaire du puissant groupe de « Djie » (principal groupe religieux du groupement) portera le nom de « Djuidje » ou l’épouse de Djie. Un enfant né le jour de la mort de son père sera « Tienoue » (jour du malheur), si par contre il naît après le décès de son géniteur, il sera plutôt « Famdie » (la maison moisie à cause de l’absence de chaleur paternelle)
 Cas spécifique des premiers nés :
Si le premier enfant de la famille ne tombe pas dans les cas d’exception précités, il est fortement conseillé de lui donner le nom du grand-père paternel s’il s’agit d’un garçon et de celui de la grand-mère ou de l’arrière-grand-mère paternelle dans le cas d’une fille. La galanterie commande au mari de rendre la politesse à la maman lors du second accouchement, le deuxième enfant de la famille a donc toutes les chances d’être le grand-père maternel s’il est de sexe masculin ou la grand-mère maternelle dans le cas contraire. Il est arrivé que certains maris plein de délicatesse, offrent à leur tendre épouse de disposer du nom de leur premier bébé, il est bien entendu que cette règle ne vaut que si les grands-parents de l’enfant n’ont pas été en leur temps des jumeaux ou leur second.
 Les autres cas :
Quand tous les cas spéciaux sont réglés, le papa gère à son gré les noms des enfants à venir. C’est l’occasion pour le couple d’exprimer son estime aux oncles, aux tantes et aux amis. Il faut par conséquent procréer au maximum pour pouvoir payer sa dette de reconnaissance aux multiples relations, il est de bonne convenance pour l’ami ou le membre de la famille ainsi distingué d’offrir à la maman de l’enfant du sel, de l’huile, du bois de chauffage ou tout autre cadeau de son choix, l’homonyme doit à l’avenir au bébé et à sa famille beaucoup d’affection et de considération.
Par ce  truchement, les liens sociaux se développent et s’affermissent, il ne serait pas excessif de trouver dans la pratique de l’homonymie l’une des causes cachées de la surpopulation du pays bamiléké et du succès que la polygamie y connaît.
Chaque nom est chargé de puissance susceptible d’influer sur le tempérament de celui qui le porte, les parents caressent le rêve que leur progéniture hérite des qualités de leur homonyme, on comprend pourquoi certains noms de valence négative connaissent très peu de succès et finissent même par disparaître, à l’inverse, les noms ayant appartenus aux rois et aux personnages illustres font fureur.
 Dans la catégorie des noms qui font rarement des émules, il y a des « noms messages » par lesquels les parents implorent la protection, l’arbitrage ou la mansuétude de Tchiépo pour les injustices et les malheurs dont ils sont victimes dans la société.
 « Nji Lo » (l’envie de pleurer) : résume une vie pleine de déception et de malheur mais qu’il faut accepter avec philosophie dans l’espoir que les jours à venir seront meilleurs. Ce nom est particulièrement prisé par les mamans qui ont perdu à la suite plusieurs bébés ou des enfants en bas âge. Les bamiléké sont convaincus que la supplique, implicitement contenue dans ce nom (ou à ceux qui en tiennent lieu dans d’autres villages) réussi toujours à émouvoir les dieux et à arracher leur clémence.
  « Noue Ntoung » (le secret) : marque le tourment d’un cœur oppressé par un lourd secret mais qu’une obligation morale interdit de trahir
    « Noue tack die wa » (qui est à l’abri des soucis) : conseille de dédramatiser les malheurs qui nous arrivent, c’est une invitation à rester positif devant l’adversité de la vie, du moment où les soucis de la vie sont la chose du monde la mieux partagée, Dieu sait quelle charge peut supporter chaque épaule et personne n’est sûr de pouvoir porter le fardeau des autres.
    « Tchum mo » (le confident) : est un avertissement adressé aux esprits véreux prompts à sacrifier l’amitié sur l’autel des calculs égoïstes.
  « Poné » ou « Néabo » (la haine gratuite) : stigmatise l’instinct de jalousie propre aux aigris.
Il n’y a de limite à la fabrication de ces noms singuliers que l’inspiration de leurs auteurs. Leur densité et leur formulation varient d’un village à un autre mais le message est toujours le même : le rejet de la trahison, de la jalousie, de la délation, du mensonge, de la haine.
Une autre difficulté pour les bamiléké à adopter définitivement la mode du patronyme vient de la possibilité que les hommes les plus méritants ont à changer de nom au cours de leur vie. Il arrive aussi, bien que ce soit très rare, que des parents soient amenés à changer le nom de leur rejeton pour des raisons thérapeutiques, c’est le cas parfois des bébés, qui dans la lignée maternelle, viennent après les jumeaux ou arrivent par le siège et qui n’ont pas reçu à la naissance les noms spécifiques qui leur sont réservés. Si plus tard l’enfant souffrait d’un mal chronique, les oracles peuvent conclure dans leur diagnostic qu’il boude le nom inapproprié qu’il porte, il ne reste plus aux parents qu’à revenir sur leur mauvaise décision s’ils tiennent à la vie du fruit de leur amour.
 Les changements de noms 
Les enfants sélectionnés pour être plus tard les serviteurs et les hommes de main du roi perdent leurs noms dès qu’ils arrivent dans les centres respectifs de formation ; ils sont appelés fils des étrangers « gueo » ou « mou tchouo » pendant toutes les années que dure leur scolarité. Même pendant l’exercice de leurs fonctions, ils se contentent des noms génériques comme « Wala » (ministre) « Kem dje » (administrateur de région), « Defo » (celui qui veille sur le bébé prince) ou enfin « Tabue » (chambellan).
C’est au moment de prendre leur retraite que le roi leur donne un titre suivi d’un tout nouveau nom, un ancien « wala » deviendra par exemple « Sa’a Fotso » ou « Sa’a Fossouo » et plus jamais personne ne l’appellera par le nom qu’il portait bébé, si tant est qu’il s’en souvienne lui-même.
Il n’y a pas que les anciens collaborateurs du roi qui changent de nom au moment où ils acquièrent un titre, sont aussi concernés, ceux qui sont élevés, en récompense de leur mérite aux prestigieux grades de « Sa’ » et de « Souop » ; le roi adjoint systématiquement au titre un qualificatif ou un nom qui spécifie le trait de caractère ou l’action d’éclat qui a valu la distinction au récipiendaire. Très rapidement, tout le monde abandonne le nom originel pour ne retenir que le nouveau titre et le nom ou le qualificatif qui va avec, seuls font exception cette règle les princes ou les garçons de la lignée royale qui gardent leur nom d’origine au moment d’acquérir un titre.
Il est enfin possible de changer de nom par le jeu de la succession, en effet le fils héritier en pays bamiléké se substitue au sens premier du terme à son notable de père décédé, il devient seul maître de tous les biens du défunt et le mari des épouses qui n’ont pas trouvé de nouveaux soupirants, pour tout couronner, le nouveau coq du poulailler abandonne son nom au profit de celui de son feu père.


Article rédigé par Maurice TEMATIO

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